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4e dimanche de carême (A)  :        « J’étais aveugle et à présent je vois ! »  

L’aveugle-né, dans l’évangile de ce dimanche de carême, rend témoignage en répondant à ceux qui l’interrogent… et qui s’interrogent. Comment cela lui est-il arrivé ? Qu’est-ce qui s’est passé ? Et qui est cet homme qui lui a rendu la vue, qui lui a « ouvert les yeux » ?

 

Car il s’agit bien de cela : avoir les yeux ouverts !  Voir au-delà des apparences trompeuses, voir « avec le cœur » comme l’écrivait Saint-Exupéry. Avec le cœur, oui, mais un cœur purifié du péché qui rend aveugle. Voir en vérité, avec le regard de l’amour qui vient de Dieu.

 

« Dieu ne regarde pas comme les hommes », dit le Seigneur au prophète Samuel envoyé pour donner l’onction au nouveau roi choisi par Dieu. Ce sera le jeune David, le plus petit. « Les hommes regardent l’apparence, mais le Seigneur regarde le cœur ». Un cœur qui sait s’ouvrir au don de Dieu, à sa lumière, à la force de sa présence. Pour juger et agir selon le cœur de Dieu et non la seule volonté humaine. Un cœur qui ne se laisse pas conduire par l’ambition personnelle ou la crainte, mais par la confiance humble et fidèle en Dieu. « Autrefois vous étiez ténèbres », écrit l’apôtre Paul aux Ephésiens, « maintenant, dans le Seigneur, vous êtes lumière : conduisez-vous comme des enfants de lumière ».

 

« J’étais aveugle et à présent je vois ». L’homme de l’évangile dont nous ne connaissons pas le nom – serait-ce toi ? Serait-ce moi ? –  cet homme est devenu capable de voir ce qu’il ne voyait pas : Dieu qui se révèle à lui en la personne de Jésus, le Christ. « Tu le vois, c’est Lui qui te parle ! »  Qui est ce Jésus ? Un homme de Dieu ? Les pharisiens s’interrogent.. Sa conduite surprend. Elle dérange ceux qui cantonnent Dieu, qui le « confinent » dans leur tradition religieuse – « celle qui vient des hommes » dira Jésus – leur pratique scrupuleuse de la Loi, leur « savoir » : « nous savons, nous, que cet homme est un pécheur », répondent-ils à l’aveugle à propos de Jésus. « Et toi ? Que dis-tu de lui puisqu’il t’a ouvert les yeux ? »

 

En ce dimanche de carême cette parole d’évangile nous rejoint chacun dans l’état de confinement qu’il nous est demandé de respecter. Notre horizon quotidien s’est réduit aux murs de notre logement, de notre jardin pour ceux qui ont cette chance, de notre quartier vu de la fenêtre ou du paysage que nous pouvons contempler de chez nous. Nous sommes éloignés physiquement de tous ceux que nous croisons habituellement au travail, dans la rue, ou en famille. Nous faisons l’étrange et douloureuse expérience de l’absence visible, proche et rassurante, de ceux avec qui nous partageons notre existence.  Celle aussi de devoir vivre confinés à plusieurs, ou bien de supporter la solitude imposée.  Et voici que notre regard sur ce monde, sur les autres, sur notre vie personnelle, commence à changer, à se modifier. Cette famille à laquelle je n’ai pas toujours le temps de me consacrer suffisamment ; ces hommes et ces femmes dont le travail quotidien me permet de vivre sans que j’y porte assez d’attention ; ces liens d’amitié que je peine parfois à cultiver ; ces personnes seules, isolées ou malades, dont je prends plus conscience en ce temps de confinement forcé…

Nos yeux peuvent-ils s’ouvrir sur le monde, sur les autres, sur nous-mêmes ? Notre regard peut-il changer pour « voir » autrement ? Avec plus d’humilité ? Avec plus de fraternité ? Pour savoir discerner la présence de Dieu au cœur de ce monde en souffrance ? « Il y a une chose que je sais », répond l’aveugle-né à ceux qui l’interrogent, « j’étais aveugle et à présent je vois ! »

 

Que le Seigneur touche nos yeux et nos cœurs en ce temps d’épreuve qui secoue l’humanité toute entière. Que le Seigneur touche les yeux et les cœurs des hommes et femmes de ce temps, nos frères et sœurs. Afin que ce monde voit. Qu’il sache qu’il est aimé de Dieu. Bien loin de céder au désespoir, à la peur, au repli sur soi, qu’il s’ouvre à la lumière bienfaisante que Dieu veut faire briller dans les cœurs. Comme notre Pape François l’écrit au terme de son encyclique adressée à « tous les hommes de bonne volonté » : « Dieu qui nous appelle à un engagement généreux, et à tout donner, nous offre les forces ainsi que la lumière dont nous avons besoin pour aller de l’avant. Au cœur de ce monde, le Seigneur de la vie, qui nous aime tant, continue d’être présent. Il ne nous abandonne pas, il ne nous laisse pas seuls, parce qu’il s’est définitivement uni à notre terre et son amour nous porte toujours à trouver de nouveaux chemins.  Loué soit-il ! »  ( Laudato Si, §245 )